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14 février 2022

Le paléontologue Yves Coppens, qui a découvert Lucy, connaît bien le site de Saint-Prest pour l’avoir étudié à plusieurs reprises et même y avoir conduit des fouilles. Entretien.

Votre Agglo : Pourquoi le site de Saint-Prest est-il si important ?

Yves Coppens : À la fin des années 50, j’ai moi-même été attiré par ce très beau site paléontologique, pour ma thèse sur les animaux à trompe. J’ai passé un long séjour à Chartres au musée des Beaux-Arts à travailler sur des centaines de pièces. Ce site regroupe une faune riche - éléphants, rhinocéros, hippopotames, gros carnivores - et l’association de vertébrés permet une datation plus précise. On s’est longtemps demandé si le site abritait des restes humains. Nous n’avons pas trouvé de manière sûre des pierres taillées, mais Amélie Vialet et son équipe ont trouvé des pics de cassure sur les os et des traces de découpe qui ne peuvent être faits que par des humains, qui les rendent formels sur la présence humaine.

VA : En quoi les restes de mammouths trouvés à Saint-Prest se distinguent-ils ?

YC : Les dents de mammouths se lisent facilement grâce aux nombre de lames d’ivoire qui les composent et de l’émail qui les recouvre. Nous savions que les restes de mammouth retrouvés à Saint-Prest appartenaient à l’espèce meridionalis, beaucoup plus ancienne que le mammouth laineux, disparu il y a 4000 ans. Avec un collègue, nous avions trouvé qu’il s’agissait d’une forme plus évoluée qu’ailleurs et lui avons donné un nom : mammuthus meridionalis depereti, en hommage à un paléontologue lyonnais. La sous-espèce a été confirmée depuis, elle est bel et bien typique de Saint-Prest !

VA : Pourquoi le site est-il encore en cours d’étude ?

YC : Les techniques de datation, de l’optique, et l’étude de la cassure des os se développent avec le temps : on réétudie pour actualiser le savoir. Depuis les années 50, il y a eu une datation absolue appliquée sur d’autres sites et la datation d’assemblage de vertébrés est mieux connue. On peut maintenant estimer le site entre 800 000 et 1 million d’années. Ce site présente beaucoup d’éléments, donc plus de sécurité dans les conclusions.

VA : Au vu de son caractère exceptionnel, pourquoi n'est-il pas d'avantage connu par le grand public ?

YC : Le grand public ne connaît pas tous les grands sites. Il est davantage intéressé par les sépultures, ou les peintures rupestres. Mais si l’on fait l’effort d’expliquer et de reconstituer, les gens sont toujours fascinés. L’Homme de Tautavel est connu grâce à sa reconstruction à partir d’un crâne. Pour Lucy, qui m’est chère, nous avions assez d’ossements pour dessiner sa silhouette. C’est une plongée dans le temps qui nous rapproche de la préhistoire, une recherche en forme de quête policière. C’est pour ça qu’une exposition telle que celle-ci, même temporaire, peut susciter l’intérêt.