Jérémie Viret, archéologue responsable scientifique, au bord des vestiges d'un four à chaux mis au jour en 2023.
Fouilles du Faubourg-la-Grappe : 4 questions à Jérémie Viret
Entre juillet et octobre 2023, Jérémie Viret, archéologue responsable scientifique, a dirigé une fouille préventive rue du Faubourg-la-Grappe, à Chartres. Celle-ci a permis de confirmer certaines suppositions sur le passé historique de cette zone chartraine, mais aussi de mettre au jour de nouveaux vestiges, tels qu’une zone de carrières de craie, des fours à chaux ou encore des vases funéraires.
Des fouilles ont déjà eu lieu par le passé dans la rue du Faubourg-la-Grappe. Que savait-on déjà du quartier grâce à elles ? Et qu’est-ce que la fouille de 2023 a apporté comme nouvelles informations ?
La rue du Faubourg-la-Grappe, qui forme une patte d’oie avec la rue de Sours, formait probablement déjà un carrefour dans l’Antiquité. Avec deux voies extra-urbaines qui reprennent le même tracé que les rues actuelles, la zone correspond finalement à une entrée de la ville antique.
Les premières fouilles dans le secteur ont eu lieu en 2008. Plusieurs éléments avaient été mis au jour, comme une petite portion d’une ruelle parallèle qui semblait longer une mare, ce qui faisait déjà penser à un aménagement d’entrée de ville. Il existait aussi une zone dépotoir (rejets d’ossements animaux et de céramiques), ainsi qu’une exploitation de craie et même plusieurs vases funéraires. Enfin, un four de tuilier avait été découvert, mais plus récent, car daté de la période moderne.
Avec la fouille de 2023, les découvertes des carrières, fours à chaux et vases funéraires ont donc permis de confirmer la diversité des occupations passées. C’est également le cas avecla découverte d’un segment du fossé qui forme la limite de la ville antique, que nous supposions déjà dans ce secteur en 2008, mais que nous n’avons retrouvé que lors de la fouille de 2023.
Prélèvement d’un vase funéraire à l’aide d’un brancard lors de la fouille.
Comment ces découvertes (carrières, fours et vases) s’inscrivent-elles dans le temps ? Que disent-elles de chacune de ces périodes ?
En effet, au cours de la fouille, nous avons retrouvé des carrières qui semblent avoir été exploitées entre le Ier et le IIe siècles apr. J.-C., juste à l’extérieur de la limite de la ville. Ce sont des carrières souterraines qui ont par la suite été arasées.
En effet, le toit des galeries des niveaux supérieurs de l’exploitation a systématiquement disparu. La carrière est ensuite progressivement abandonnée, avec des zones qui sont comblées et probablement d’autres encore exploitées. C’est à ce moment que commence une activité de fabrication de la chaux.
Nous avons ainsi retrouvé trois fours à chaux, dont l’utilisation se situerait plutôt entre le IIe et jusqu’au début du IIIe siècle. C’est à la fin de cette activité de chaufournerie que la carrière abandonnéesert de lieu d’inhumation : des vases funéraires y sont déposés, dont près de 80 ont été retrouvés.
Un des vases funéraires mis au jour, avant prélèvement.
Avez-vous rencontré des difficultés techniques lors de cette opération ?
Oui, principalement dues à la configuration du terrain en pente qui a demandé beaucoup de précaution dans le travail à la pelle mécanique, ainsi que pour les archéologues. En plus, nous avions un plancher de fouille à atteindre (c’est-à-dire, le niveau le plus bas auquel nous étions autorisés à creuser), qui était particulièrement profond par rapport à la surface du sol sur laquelle nous marchions.
Ainsi, il a fallu multiplier les paliers de sécurité, pour protéger les personnes et les vestiges : dès que l’on atteignait 1,30 m de profondeur, on devait s’arrêter de fouiller, pour faire un nouveau palier d’1,30 m à plat, où l’on pouvait se remettre à fouiller, pour finalement faire comme un escalier afin d’atteindre le fond.
De plus, la plupart des couches que nous fouillions étaient des remblais très compacts et très hétérogènes, et nous avions parfois du mal à reconnaître les vestiges qui pouvaient être aménagés dans ces remblais, comme par exemple des fosses ou des trous de poteaux (les traces laissées par les supports d’édifices en bois).
Point de vue des carrières de craie dégagées et du terrain en pente.
Concernant la découverte des vases funéraires, y a-t-il une explication à cette méthode d’inhumation ? Pourquoi ces bébés étaient-ils enterrés dans des vases ?
Était-ce typique de Chartres durant l’époque romaine ?
Non, ce n’est pas une méthode d’inhumation spécifique à notre ville. C’est une pratique ancienne que l’on retrouve dès le VIIIe siècle av. J.-C., notamment en Grèce, en Italie et un peu partout autour de la Méditerranée. Elle concerne surtout l’inhumation de périnatals, c’est-à-dire des bébés décédés autour de la naissance, dans des réceptacles funéraires qui sont la plupart du temps des vases ; ce sont d’ailleurs des vases assez communs, utilisés dans la sphère domestique.
Cette pratique très particulière tient au statut de ces enfants : pour les gens de l’Antiquité, ce ne sont pas encore des individus, au sens où on l’entendrait aujourd’hui, ce qui explique qu’ils ne sont pas enterrés dans les mêmes espaces que les défunts plus âgés. Ils possèdent donc des lieux d’inhumation qui leur sont propres.
Surtout, c’est la quantité de vases retrouvés à Chartres qui en fait sa particularité. Sur le site du Faubourg-la-Grappe, nous en avons retrouvé une centaine. Auparavant, sur le site de Reverdy, nous en avions également retrouvé à peu près une centaine, dans un même contexte, avec des activités précédentes de carrières et de chaufournerie. Nous avons donc à Chartres une des plus grandes concentrations en Gaule de vases funéraires, avec plus de 200 vases au total retrouvés jusqu’ici.
Aujourd’hui, nous avons complété nos connaissances. En effet, nous pensions jusque-là qu’il n’y avait pas de gestes funéraires spécifiques pour ces périnatals, avec un banquet, des dépôts d’offrandes ou de la crémation d’encens, comme on le faisait pour les enfants ou les adultes ; ça peut paraître étrange aujourd’hui, mais ce serait logique pour l’Antiquité romaine puisque ces bébés n’étaient pas censés avoir un statut propre.
Or, nous savons désormais qu’à Faubourg-la-Grappe, il y avait bien des gestes particuliers pour eux ! On pourrait parler de marques de considération pour ces défunts, car on a bien observé que les sépultures étaient marquées (avec des amas de silex). Était-ce pour ne pas oublier et revenir sur place, lors de commémorations par exemple ?